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Temps de lecture : 4 minutesTwitter, disons le tout net, c’est un peu comme ce sweat usé jusqu’à la corde qu’on ne met que chez soi, et qu’on revêt nuitamment pour sortir les poubelles. Un mélange de bon et de moins bon, comme le serait la bibliothèque d’un inconnu. On ne sait pas ce sur quoi on va tomber, c’est souvent inintéressant, parfois formidable, toujours inégal.
Pourtant, il est difficile de se passer de ce canal d’information qui, quoi qu’on en pense, apporte aussi de fiers services pour, par exemple, accéder à l’information en temps réel, ou censurée, découvrir de nouveaux points de vue, et accéder à la parole d’experts.
Dans cette époque particulière qui est la nôtre, la désinformation côtoie trop facilement l’information. Il n’est pas impossible que nous réalisions prochainement que l’humanité n’était en définitive sans doute pas tout à fait prête à un tel choc des cultures, puisque c’est bien ce que font les réseaux sociaux, rapprocher des habitants du monde tout en éloignant ceux qui sont proches. Chacun peut réagir à l’actualité, quelle qu’elle soit, sans recul ni retenue, ce qui ne manque pas de générer de nombreuses frictions entre experts avérés et d’autres autoproclamés. Pire encore, on assiste à des dérives importantes, voire graves, où des sujets importants sont dévoyés, manipulés, mal interprétés, le tout fragilisant notre société en instaurant des clivages forts.
Des pans entiers de notre société sont touchés par ces coups de butoir violents. Agriculture, environnement, science, santé, médecine, économie, politique, police, justice, sécurité et j’en passe. Des batailles occasionnellement féroces se livrent entre les connaisseurs, les sachants, et les amateurs ou militants d’une cause donnée, dont les avis et les certitudes sont étroitement liés à une indéniable méconnaissance, à l’absence d’expérience réelle. Ainsi va la vie, le phénomène est connu, référencé, documenté, et son nom popularisé par le scientifique Daniel Klein. On parle d’ultracrépidarianisme, comportement qui consiste à donner son avis sur des sujets à propos desquels on n’a pas de compétence réelle et avérée, que nous avons tous adopté à un moment ou à un autre de notre vie.
Dans la galaxie virtuelle des réseaux sociaux gravitent aussi des auteurs expérimentés, chacun dans son domaine d’activité, qui ne comptent pas leur temps pour éclairer, informer, réinformer. Cet engagement quotidien au service de l’éducation populaire mérite d’être saluée, c’est une digue, un rempart au chaos qui parfois menace.
En matière de justice, plusieurs professionnels, qu’ils soient magistrats, avocats ou greffiers, offrent ainsi de leur temps et apportent des éclairages utiles et factuels sur des dossiers en cours, que ce soit au travers du droit ou de situations connues, vécues, le tout dans un esprit de partage de connaissance et de lutte contre la désinformation.
Parmi ces derniers, une certaine SirYesSir29 partage sa connaissance d’affaires sensibles, des histoires toutes vécues. Magistrate et au fil de sa carrière juge ou procureure, SirYesSir29, qui ne se cache pas d’être « un petit cœur de Bisounours dans un parquetier qui rit très fort et aime la rillette.« , et qui comme d’autres officie au Tribunal Judiciaire de Trifouillis-le-Baveux, ne ménage pas ses efforts pour éclairer sur la complexité de la justice et de l’humanité au travers de threads (agrégats de plusieurs tweets) d’une humanité qui tranche un peu avec la froideur d’un des piliers de notre démocratie qu’est la justice.
Les trajectoires de vie que SiryesSir29 relaie donnent à voir sur l’absolue nécessité qu’il y a à faire preuve de discernement et à ne pas juger ni commenter à tout va. Elle le fait si bien que les « likes » et les « retweets » font plaisir à voir. Eh oui, ça sert à ça aussi un réseau comme Twitter, déceler au travers d’une intervention donnée une tendance d’opinion.
Audience correctionnelle, mes 3 collègues du siège regardent avec attention Laura, partie civile dans l'affaire qui nous occupe aujourd'hui. Laura est architecte. Elle est habillée sobrement, bien coiffée, elle s'exprime bien. Le monde de la justice lui était jusqu'alors inconnu.
— Sir Yes Sir (@SirYesSir29) May 23, 2021
Forcément, après la lecture de ces threads, plusieurs « Twittos », ou utilisateur régulier de Twitter, ont suggéré à la dame d’écrire un bouquin. La « parquetière » aux 68k suiveurs, après moult hésitations et l’humilité qui accompagne si souvent les connaisseurs et les vrais experts, s’est pliée à l’exercice, et trouvé un éditeur (les éditions Hugo Doc). Dès sa sortie j’ai commandé « Dans les yeux du Procureur » auprès de mon libraire. Et j’ai dévoré le livre.
On y découvre le parcours professionnel de Jeanne Quilfen, depuis sa rencontre à 17 ans avec le monde judiciaire alors qu’elle se destine à être professeur d’histoire-géographie, jusqu’à la veille de sa prochaine permanence qui lui amènera « son lot d’adrénaline, de réveils nocturnes, de doutes, de dossiers tous différents et pourtant si semblables. » On y découvre « des vies soudain bouleversées, des quotidiens d’un coup enrayés par le grain de sable qui vient gripper la mécanique, l’irruption de la douleur, de la colère aussi, et il y aura souvent, à n’en pas douter, urgence à y apporter une réponse.« . Et Jeanne Quilfen de conclure « Je sais qu’il faudra la trouver » (la réponse), et que même en m’y employant à faire de mon mieux, je vais hésiter, peut-être me tromper, c’est déjà arrivé. »
On termine la lecture en repensant au voisin qui un jour de 1997, n’en pouvant plus des permanentes brimades de sa femme, a commis l’irréparable, ou de cette vieille connaissance, enseignante, qui un soir n’est pas venu à une réunion de l’association qu’on fait vivre ensemble, et dont on a appris le lendemain qu’il avait passé la nuit en garde à vue après avoir tenté de braquer une banque avec un pistolet factice, et on se dit que, à mille lieues du tribunal populaire qu’on voit réapparaître à regret sur Twitter, dans certains médias ou partis politiques, il est décidément bon de faire preuve de mesure, de recul, et de laisser la justice la rendre, de justice. Et on se dit que ce livre fait du bien, immensément du bien tant il devient insupportable de lire ou d’entendre ici ou là tant de gens qui prétendent détenir la vérité et la solution à tous les maux du monde.
Subséquemment, l’on aimerait que tout le monde lise Sir Yes Sir, Jeanne Quilfen, ainsi que tous ceux qui, d’expérience, savent de quoi ils parlent. Le monde n’en sera que meilleur et moins… fou.
“Dans les yeux du Procureur, Chronique de la justice ordinaire”, aux éditions Hugo Doc.
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