La dégradation du respect des biens, des personnes, et du rapport à l’autorité

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La dégradation du respect des biens, des personnes, et du rapport à l’autorité

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On s’étonne que nos sociétés montrent des signes de fractures, voire aillent mal ? Que le rapport à l’autorité se dégrade et que le manque de respect des institutions, des biens et des personnes se développent ? Je vous propose une petite explication avec comme décor un terrain de basket, deux pères et leurs enfants.

9h ce matin, n°3, 17 ans, est décidé, nous allons vers le terrain de basket extérieur du quartier, en croisant les doigts pour que personne n’y soit déjà. Arrivés à une trentaine de mètres, nous apercevons des mômes qui font des tours de vélo sur le terrain. Ils sont deux et pas très assurés, ce sont leurs débuts de leur vie de cycliste. Leur père est sur un muret, tout sourire et petite moustache. Il les regarde tourner, visiblement heureux. Nous lui disons bonjour et nous avançons vers le panier vers lequel mon fils tente un premier tir.
Raté.

Les gamins, qui se sont éloignés, n’ont pas six ans. Ils regardent et s’approchent, dangereusement d’ailleurs, car je suis en plein mouvement, je mesure 1,80 et je pèse plus de 100 kg. Leur père ne réagit pas. Pire, il leur propose de nous demander de jouer avec nous, l’inconscient.
– Comment on dit quand on veut demander à quelqu’un ? On dit siillvouplé (il insiste bien). Allez, demandez-leur s’ils veulent bien jouer avec vous.

Le gars a la trentaine, il n’a pas l’air de piger que je suis avec mon fils, que je n’ai pas envie de jouer les nounous et que je ne suis pas l’animateur du CLSH. Et d’ailleurs ça emmerde mon fils, je le vois bien. Mais bon, nous ne sommes pas des chiens, alors sans dire oui, on ne dit pas non, et d’ailleurs un des gamins a déjà pris le ballon, il donne des coups de pieds dedans.
– Ha non Joseph, c’est un ballon de basket, on joue à la main.

Le mec ne comprend pas que ses gamins sont trop jeunes et que peut-être que nous n’avons pas envie qu’ils soient avec nous, et là j’ai l’impression que je dois en plus le materner. Je ne peux quand même pas lui dire que ses mômes n’ont rien à faire entre nos jambes et qu’ils risquent même de se blesser. Bon sang il devrait savoir ça, je ne devrais pas avoir à dire ça à un père de famille.

Le gamin revient avec le ballon entre les mains, il s’approche du panier qui est totalement hors de portée, il se penche, baisse les bras pour prendre de l’élan, lève les bras et jette le ballon derrière lui. C’est un peu drôle, et surtout ridicule. Ridicule qu’un père ne sache pas dire à ses enfants. “Attention les enfants, jouez plus loin.”, ou “Venez avec moi, nous allons les regarder. Ça vous dirait de faire du basket plus tard ?”. Non, au lieu de ça le père encourage son fils, et je sais que je vais devoir passer par ça avant d’être libre. Fucking bienveillance, vraiment.

Le gamin se baisse, prend un peu plus d’élan, lève les bras, et jette à nouveau le ballon derrière lui. Je sais que c’est la dernière fois, alors je lui donne un petit conseil, afin d’avoir tout bien fait comme il faut.

Bien entendu, le petit basketteur n’écoute rien, il refait le même geste, et je conclus la partie impromptue en invitant tout ce petit monde à s’éloigner. Ce qu’ils font en ponctuant chacun de nos tirs d’un tonitruant “Raté”, ou “gagné” selon les cas, joyeux et heureux de cet échange.
– Ils sont chiants, me dit mon fils.

Il est cool mon fils, réellement. Moi, c’est le père des gamins qui me gonfle, et le pire, c’est qu’il a l’air ravi, assis là sur son muret, avec sa petite moustache qui m’agace. Ses deux garçons reviennent bien vite dans nos pieds, et je dois presque hausser le ton pour que leur père daigne leur dire de revenir. Le pire, c’est qu’il est content, pour lui tout s’est bien passé. Les deux gars sur le terrain de basket ont été gentils avec ses enfants, il peut aller tranquille acheter son pain à la boulangerie.

Nous avons pu enfin taper la balle, et nous avons parlé de cette situation. D’apparence anodine, elle est révélatrice d’une partie de ce qui ne va pas dans notre société. J’appartiens à une génération où nous devions respecter les adultes et où les enfants avaient une parfaite conscience de leur place. Nous avons grandi en sachant que nous avions beaucoup à apprendre de nos ainés, depuis nos enseignants jusqu’aux adultes que nous croisions, et en dehors de quelques rares jeunes de notre génération, chacun respectait les biens et les personnes. Il y avait en quelque sorte une progressivité dans l’apprentissage des libertés, et en conséquence une pleine mesure de leurs valeurs. Nous avions aussi des frustrations, qui elles-mêmes faisaient naitre des envies émancipatrices, mais n’est-ce pas de ça que naissent les vies conscientes de leur richesse ? De la même façon que le paiement valorise le service rendu et que les idées de transport gratuit ne sont que des illusions, grandir en ayant conscience de la préciosité de nos libertés et de la chance que nous avions d’être sur cette si belle planète est une des meilleures façons de bâtir des sociétés dans lesquelles la cohabitation se fait dans un équilibre qui, s’il est précaire, est à même de nous permettre de prospérer, et pas qu’économiquement.

En offrant trop tôt et trop rapidement des libertés à nos enfants, nous ne leur permettons pas de devenir des jeunes et surtout des adultes conscients de la préciosité de leurs droits et de l’importance du collectif, un collectif nécessairement complexe tant notre civilisation est constituée d’une mosaïque de cultures différentes.

La bienveillance éducative promue depuis des années se confond pour certains avec un indéniable laxisme, qui a tendance à mélanger les places d’adultes et d’enfants. Des parents découvrent à leur dépens avoir été peut-être un peu trop “bienveillants”, comme Julie, dans l’émission “Grand bien vous fasse” du 28 mars 2018, “Les parents parfaits, ça n’existe pas !” :

Bonjour Julie, vous appelez des côtes d’Armor. Alors, vous vous êtes maman de trois enfants. Et vous avez plutôt élevé vos enfants de façon bienveillante.

— Oui, exactement. Donc en fait mon mari et moi sommes enseignants. Donc on nous a aussi appris ce contact-là avec les enfants, et en tant que parents, on a toujours eu une éducation bienveillante à l’égard de nos enfants. Nos deux filles ont plus ou moins, on va dire, réussi. Elles ont de l’empathie pour les autres, elles ont l’air épanouies, et on a notre petit dernier, notre petit blond en fait, qui lui va plutôt avoir un comportement d’enfant tyran, on va dire. Ça parait être un gros mot, mais il peut être assez tyrannique à la maison. Alors est-ce une dérive de l’éducation bienveillante, c’est une question qu’on se pose. Parce qu’on le voit aussi nous en tant qu’enseignants dans nos classes. Et je voulais réagir par rapport à la personne que vous aviez tout à l’heure en direct de Rennes. C’est quelque chose qu’on retrouve dans les familles et dans les classes. Cette dérive de l’éducation bienveillante parfois.

Impossible de ne pas faire le lien avec la pertinence des propos du psychologue Didier Pleux, qui de bout en bout explique clairement ce en quoi l’éducation a dangereusement glissé sur un terrain qui n’apporte pas aux enfants de quoi devenir des adultes aptes à vivre en société.

Et en effet, nous observons tous de nombreuses situations où une profonde difficulté à gérer la frustration, ou à différer le désir, conduit à des passages à l’acte violents contre les biens et les personnes.
L’enfance et l’adolescence sont des périodes sensibles et structurantes et la bienveillance n’efface pas l’autorité parentale, elle lui impose de prendre en compte le bien-être moral et physique de l’enfant, c’est toute la nuance.

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