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Quand on est jeune ou sans grande expérience, on voit le monde, et donc la politique, comme un simple câble électrique qui contiendrait trois fils. Peu d’entre nous savent que le bleu est le neutre, le marron ou le rouge la phase et le vert et jaune la terre. Ceux qui savent ce que signifient ces termes ou qui connaissent la fréquence de l’électricité alternative dans la maison ou celle utilisée pour le transport de l’électricité jusqu’au réseau domestique sont encore moins nombreux. Ne parlons même pas résistance, de pertes en ligne, d’impédance, d’effet joule, et d’autres joyeusetés techniques de ce type. J’arrive moi-même au bout de mes connaissances. Il faut de la pratique et de multiples connaissances pour tout comprendre et tout savoir.
Quand on sort des sentiers battus, quand on change de domaine d’activité, quand on se confronte à la vie réelle, lorsqu’on élargit nos expériences de vie, en voyageant, en étudiant, en apprenant, on découvre alors d’autres réalités, d’autres cultures, des environnements variés, et on relativise ce que, jusqu’ici, on croit savoir.
Lorsqu’on agit soi-même concrètement, quand on met la main à la pâte, lorsqu’on s’engage pour des causes qui nous tiennent à cœur, quand on crée son activité, qu’on en vit, qu’on embauche, qu’on gère des salariés, qu’on paye les charges, on réalise que chacune des difficultés que certains hommes et femmes politiques ou activistes croient pouvoir régler d’une simple nouvelle décision est au moins aussi complexe qu’un câble sous-marin de transport de la fibre et de l’énergie.
Nous l’oublions, mais tout ce qui nous entoure, tout ce qui fait notre quotidien et notre vie est interdépendant d’innombrables dispositifs ou approvisionnements. Quand d’aucuns affirment qu’il faudrait tout détruire pour tout reconstruire pour un monde anticapitaliste, nous sommes en droit de nous interroger sur l’état de leur santé mentale. Il n’existe pas un individu en France dont la vie ne dépende pas au moins un peu de ce fameux système capitaliste qu’ils dénoncent, ou de ses subsides. D’où l’agacement bien naturel des experts et des connaisseurs face à tant de démagogie.
Dès que nous commençons à aller dans le dur et dans le concret d’un sujet, on en mesure aussitôt l’extraordinaire complexité. Par exemple, il y a peu, avant de partir à la déchetterie dans laquelle je devais me séparer de deux disques durs de 1 To hors service, j’ai eu envie de les démonter pour actualiser mes connaissances. 1 To, c’est le stockage, à peu de choses près, de 1 462 DivX de 700Mo chacun, ou encore de 657 900 disquettes de 3’5 pouces.
Chaque disque dur comporte deux plateaux en verre ou en aluminium recouverts de couches ferromagnétiques, généralement composée d’un alliage d’oxyde d’oxyde de fer, de nickel et de cobalt, surmontées d’une couche protectrice. J’ai rangé les pièces sur la table et j’en ai fait une photo. Ça me fascine toujours autant, et je trouve ça beau. Je me suis émerveillé pendant de longues de l’ingénierie nécessaire à une telle fabrication.
Il n’y a pas une chose que je n’ai essayé de faire qui ne m’ait pas amené à l’humilité. Non, aussi simple qu’un sujet puisse paraitre, de prime abord, je n’oublie jamais que je ne sais pas, que je ne le connais pas assez. Lorsque je crois connaitre, lorsque je commence à faire, je suis toujours confronté à des réalités qui me montrent que je ne sais pas. Je vais loin dans la découverte d’un sujet, donc si je parle d’un sujet, il est fort probable que j’en aie expérimenté une large part. Mais je ne serais jamais un expert en quoi que ce soit. Jamais. Je ne sais que trop bien le temps qu’ll faut pour l’être ne serait-ce que d’un seul.
L’expérience du pain au levain
Il y a quelques années, par exemple, passionné de bonne cuisine, j’ai commencé à explorer la conception du pain au levain. Après plusieurs mois de nombreux essais, je suis arrivé à un bon niveau, j’ai même réussi à dompter un four à bois (selon le terme consacré). Toutefois, à moins d’en faire mon métier et de boulanger tous les jours, de vivre de cette activité, de sortir des pains suffisamment levés et cuits de façon régulière, et plus d’un à la fois, je ne serais toujours qu’un amateur, aussi beaux soient mes pains actuels. Un bon amateur, certes, mais un amateur quand même. Je pourrais parler de la filière, que je connais bien aujourd’hui, mais je resterai un amateur avisé, et cela me va bien. Par contre, avec l’aide d’un boulanger au levain très expérimenté, comme Christophe, de l’Atelier Boulanger à Rennes, je pourrais écrire un livre sur le pain au levain. Vous voyez la subtilité ?
La fabrication d’un grille-pain
Allons encore plus loin et restons sur le pain. Maintenant qu’il est fait, nous pouvons envisager de le griller. Et si nous essayions de fabriquer notre propre grille-pain ? L’exercice est un peu absurde, puisqu’il suffirait de griller le pain devant un feu, mais il est intéressant. Construire un tel objet, d’apparence simple, sans utiliser de pièces provenant du système capitaliste, c’est tout faire de A à Z, depuis la recherche des matières premières jusqu’à leur transformation, leur éventuel moulage, puis leur montage. David Costello en a fait un sympathique sujet pour sa chronique “Intéressant” diffusée sur Arte. Un objet basique nécessite dans les faits des trésors d’ingéniosité, de process, de collaboration, d’ingénierie.
Voici donc l’illustration parfaite des limites de la mise en application des idées d’un nombre croissant de militants, et d’élus au pouvoir dans les villes, les départements, ainsi qu’à l’Assemblée nationale. Ces deux minutes sont une allégorie du décalage abyssal qui existe entre les belles idées, les bons sentiments, et la réalité. Comment ne pas être agacé devant l’incurie qui prend tant de place dans notre société. Beaucoup de discours, peu d’actes.
À observer la façon dont la politique sombre chaque jour un peu plus dans le populisme, au travers d’un nombre croissant d’élus sans grande expérience à l’Assemblée Nationale et tant de militants aussi sûrs d’eux qu’ignorants dans les médias, je crois que nous sommes très nombreux à avoir une désagréable sensation de nausée. Plus dure sera la chute.
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